" C'est un texte politique. On découvre là comme la poésie de la grande romancière anglaise est fondée sur une pensée politique audacieuse et précise. Sa dénonciation de la colonisation, de la ségrégation des femmes est, en 1938, d'une lucidité cruelle, d'une ironie violente qui n'ont pas à cette heure été dépassées.
Virginia, qui sait si bien transcrire le silence et troubler la langue, Virginia qui sait tant dire et faire entendre ce qu'elle ne dit pas, Virginia Woolf ici va droit aux faits avec la plus redoutable précision. Elle s'acharne à démontrer, chiffres, statistiques à l'appui, dans une langue classique où, parfois déferle un chant, comme l'écho lyrique d'un cri si longtemps jugulé, comme la répercussion de ces chiffres inexorables qui prouvent la spoliation des femmes, si flagrante, tellement propagée qu'elle passe inaperçue.
Femme, Virginia reconnaît, décèle et dénonce en précurseur (le mot n'a pas de féminin) ce scandale d'autant plus occulté qu'il s'inscrit partout, s'étale avec une évidence majestueuse : le racisme ordinaire qui réduit les femmes à l'état d'êtres minoritaires, colonisés. Scandale politique. Dictature qui annonce toutes les autres.
Dans Trois guinées surgissent, surprenantes une fois encore, atterrantes, la société, l'histoire : le sort inique, extravagant des femmes, la futilité sinistre des hommes ; une image de l'humanité aberrante au point d'être comique.
Les femmes, mais il n'y a pas encore de femmes ù d'hommes en conséquence. Il n'y a jamais eu que l'annulation des femmes. Restent la folie, la douleur de n'être pas qui circulent dans les lignes, les veines de Virginia Woolf... Une femme, aux prises avec ces réseaux barrés, cette mort vivante, captive en elle, de l'être qu'elle était. "